Florina - Strumica : aux pays d'Alexandre le grand

"Rien à déclarer" : la douanière nous laisse passer avec le sourire en Grèce, le berceau de la démocratie qui subit toujours l’austérité anti-démocratique commanditée par les institutions européennes. Dans le même temps, cette même douanière  recale la horde d'Albanais rêvant du European dream.

 

Quelques kilomètres plus loin dans un petit snack, le contraste entre les deux pays nous frappe au porte-monnaie avec des prix qui passent du simple au triple.

 

François Maspéro (que nous continuons de suivre pas à pas), lors de son passage de la frontière au début des années 1990, écrit (dans Balkans-Transit) : "Les villages étaient rares et vides, beaucoup de maisons étaient abandonnées, on ne voyait aucun être vivan.

- Qui habite là, aujourd'hui ?

- Des Italiens, des Allemands. Ils viennent l'été.

Tristes ironies de l'histoire. Ce territoire tant convoité au cours des guerres balkaniques de 1912 et de 1913, ce territoire où avait coulé tant de sang au cours de la Première puis de la Deuxième Guerre mondiale, où s'étaient succédé tant de massacres, d'expulsions, d'assimilations forcées, comme si chaque parcelle du sol méritait son poids de chair et de souffrance humaines, ce territoire-là était aujourd'hui aux normes des campagnes européennes : désertifié. Comme ailleurs, que ce soit dans les vallées du Lot ou l'arrière-pays de la Ligurie. Tout ce mal pour le purifier ethniquement et, en fin de compte, aboutir à en faire un pays mort, un pays de vacances pour des intrus définitivement étrangers, des étrangers venus de loin, ceux-là, pas des voisins haïs, mais des touristes indifférents. Et pourtant bel et bien les mêmes, ou leurs enfants, que les envahisseurs des années 39-44"

 

 

 

La route est à nous dans cette région montagneuse qui nous offre pour la soirée une vue sur le lac Prespa qui alimente celui d'Ohrid, dont nous avions fait le tour quelques semaines plus tôt.

 

Posés près d'un refuge surplombant le lac, nous savourons ce premier bivouac en terre hellène à la lueur d'un feu de camp.

Notre passage à Florina fut express, mais on compte bien retourner plus longuement en Grèce un peu plus tard. Le contraste avec l'Albanie, bien plus pauvre, est en tout cas flagrant. Beaucoup de commerces semblent cependant fermés : est-ce une conséquence des mesures d'austérité qui étranglent le pays... ou juste l'heure du repas ? Difficile d'en savoir beaucoup plus en si peu de temps, mais on ne peut en tout cas pas s'empêcher de penser à tout ce qui s'est passé en Grèce depuis la crise, au déni de démocratie et aux mesures qui mènent consciemment le pays droit dans le mur...

 

Maspéro, dans Balkans-Transit, passe lui aussi par Florina : "Jusqu'en 1912, Florina fut une petite ville prospère de l'Empire ottoman. Les vilayets ottomans étaients de vraies principautés dont les capitales abritaient, à côté des administrations locales, d'importants consultats étrangers chargés, entre autres, de veiller sur leurs nombreux "sujets protégés". Les vilayets ne se recoupaient pas avec la géographie humaine et leurs frontières n'avaient pas grand-chose à voir avec celles d'aujourd'hui. Ainsi Florina dépendait-elle du vilayet de Monastir (devenue Bitola), qui englobait également Korçë et Ohrid, c'est-à-dire des territoires désormais grecs, albanais et macédoniens. le vilayet de Janina s'étendait sur Gjirokastër et sur la moitié de la côte albanaise. Celui d'Usküb (devenue Skopje) couvrait le Kosovo et poussait une grande pointe entre Monténégro et Serbie. Dans chaque ville coexistaient Albanais, Grecs, Slaves (Macédoniens, Bulgaries, Serbes), Aroumains, Turcs, Juifs séfarades, Tziganes, Arméniens, et j'en passe. La société ottomane étant essentiellement urbaine, ce melting pot était moins évident dans les campagnes. A cette époque-là, nul ne mettait en doute l'existence d'une entité à peu près délimitée par la géographie physique et par la composante majoritairement slave de sa population rurale : la Macédoine. Sauf que pour les Bulgares, les Macédoniens, proches par la langue, étaient des Bulgares. Et que pour les Serbes, ils auraient dû être des Serbes. Tandis que pour les Grecs, ils auraient surtout dû ne pas être là, mais enfin, puisqu'ils y étaient, la seule issue était soit de les chasser, soit d'en faire bon gré mal gré des Grecs."


En Croatie, en Bosnie et au Kosovo, c'était les noms en cyrillique (serbe) sur les panneaux qui étaient barrés. En Albanie, c'était les noms en grec. Et voilà qu'ici, c'est le nom de la république de Macédoine qui n'a pas le droit d'être là (photo ci-dessus à gauche). En effet, comme les Grecs l'affichent sur le soleil ci-dessus au-dessus du poste frontière, "la Macédoine est née grecque".

 

Cette région, à l'histoire tumultueuse, est actuellement divisée entre le Nord de la Grèce, le Sud-Ouest de la Bulgarie, de petits bouts de l'Ouest de l'Albanie et du Sud de la Serbie, et enfin la république de Macédoine, que la Grèce ne reconnaît que sous le nom d'Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM, ou FYROM en anglais).

 

Au passage de l'Albanie à la Grèce, quand une policière nous a demandé où on allait ensuite, contrairement à François Maspéro, nous avons pris garde de répondre FYROM pour éviter de s'attirer les problèmes  "des voyageurs qui avaient le toupet de les narguer en se rendant dans un pays qui n'existait pas."

 

Entre les deux postes frontière, une statue d'Alexandre de Macédoine a l'air d'hésiter entre les deux drapeaux. Mais comme le dit Maspéro (encore lui), "s'il s'agit de revendiquer l'empire d'Alexandre, on peut les trouver modestes, les Grecs. Cet empire ne s'est-il pas étendu du Nil à l'Indus ?"


A gauche, le panneau grec indiquant en alphabets grec puis latin que le pays où l'on s'apprête à entrer s'appelle FYROM, puis quelques mètres plus loin, le panneau macédonien en alphabets cyrillique et latin nous annonce qu'on entre en fait en Republika Makedonija. Cette question du nom n'a pas évolué depuis l'éclatement de la Yougoslavie, et bloque toujours l'entrée de la Macédoine dans différentes institutions internationales. Ci-dessus à droite, un autocollant macédonien, revendiquant le droit de s'appeler "Macédoine" ("Ne me F.Y.R.O.M. pas").

 

Nous retrouvons à Bitola un ami macédonien, Sasho, qui nous accueille chez lui (fala mnogu !). Il connaît toutes les bonnes adresses de la ville, comme le petit bar Čaršija (marché) au coeur des rues du vieux bazar ottoman. Avec ses rues piétonnes et colorées et ses bars animés du matin au soir, on est tout de suite sous le charme... comme le fut aussi François Maspéro :

 

"J'aime Bitola pour un certain charme provincial. L'air que l'on y respire est vif parce que la plaine est vaste, déjà en altitude, et que les montagnes sont proches - presque aussi vif qu'aux rives du lac d'Ohrid voisin. Et pour la coexistence des vestiges du passé et des tentatives plus ou moins réussies, plus ou moins hideuses, de l'urbanisme moderne, ce qui est la condition d'une ville vivante, contraire d'une ville musée.

 

J'aime Bitola pour sa rue du Marécha-Tito où l'oeil embrasse d'un coup un minaret, des coupoles orthodoxes et le clocher de l'église catholique. Pour les ruelles de sa tcharchia, pour le grand parc poussiéreux entre l'ancienne caserne turque et la gare, dans lequel les bustes de grands hommes jouent à cache-cache avec les kiosques de Coca-Cola. Pour ses maisons patriciennes délabrées, ses anciens consulats aux pâtisseries de stuc désuètes, ses hôtels particuliers de banquiers où picorent des poules."

La tcharchia de Bitola

Après le fast food Mac Merak, les petits biscuits ronds au chocolat fourrés à la vanille Brawo Rio et les poupées de reine des neiges de la marque Diversity (ci-dessous), voici les sandwichs Submarine  ! Toute ressemblance avec quoi que ce soit serait purement fortuite...

Sasho et son pote Nino nous emmènent dans le petit village de Slepče, où on va manger dans un restaurant traditionnel macédonien : on les laisse choisir les plats, et on se régale : ayvar (sauche de tomates, poivrons et autres légumes), tavče gravče (haricots blancs, beurre, oignon et poivrons), selsko meso (littéralement "viande du village", un mélange de différentes viandes accompagnées de légumes et de fromage), saucisses aux herbes...  Heureusement qu'on a une faim de cyclistes ! Zubo, comme on dit à Bitola !

 

Mais après le repas, dur dur d'aller au bout de la montée au monastère Sveti Jovan Preteča, un peu plus haut...

La récolte de tabac dans la région bat son plein.  Séché  un peu partout sur les terrasses et les trottoirs, celui-ci sera acheminé puis transformé à l'usine locale qui récompensera les petits producteurs par quelques poignées de dinars.

Notre cousine tortue (comme nous, elle aussi porte sa maison sur elle), sauvée in extremis d'une mort certaine au milieu de la route.


La récente révolution de couleur a repeint la Macédoine à coups de pinceaux et de pistolets à peinture au printemps dernier, pour protester contre le gouvernement, impliqué dans un système d'écoutes illégales sur 20 000 personnes (1% de la population).

Après un passage à Prilep (où l'on rencontre un couple espagno-macédonien très sympa), on quitte François Maspéro qui a continué son voyage vers Skopje tandis qu'on se dirige vers la Bulgarie à l'Est. Les forêts et leurs belles couleurs automnales (on est alors début octobre, les dates de publication des articles ont toujours quelques semaines de retard) nous rappellent qu'ils faut qu'on arrive assez vite vers sous des latitudes plus clémentes.

Si seulement on pouvait passer faire un coucou en coup de vent à la famille et aux potos...

 

Apres le tabac, c'est le pays du vin que l'on traverse et qui s'étend jusqu'à la Bulgarie voisine. Les vendangeurs, la tête dans les vignes et les bennes remplies de raisine, nous donnent l'idee de poser la tente près d'une parcelle, où une table en bois attend justement vendangeurs ou cyclovoyageurs.

 

Le lendemain matin, un sympathique voisin, Mitre, nous offre tout d'abord des pommes et un grand sourire, puis le café dans sa petite maison à côté. A la retraite, il habite dans la ville la plus proche, Radoviš, mais vient de temps en temps récolter raisin (pour la rakia), pommes ou miel (photo ci-contre, et le son qui va avec ici). Il nous raconte qu'il a hebergé un couple de voyageurs  allemands il y a quelques années et que, comme eux, on sera toujours bienvenus chez lui. On repart une nouvelle fois le coeur léger mais les sacoches alourdies de quelques pommes et d'une bouteille de rakia maison.

Image d'un autre temps devant le ciné "Balkan"

 

Un peu plus loin nous arrivons à Strumica, la "ville pays" comme dirait Mitre, car "on y trouve tout", et "tout est à voir" (étant en train d'écrire cet article à Istanbul - 17 millions d'habitants - on en rigole encore).

 

Posés dans un cafe internet, on est surpris par Slavko, un joyeux et comique gaillard qui nous accoste en nous appelant par nos prénoms. On est tout ahurris, puis on comprend qu'il nous a reconnus dans la rue alors qu'on l'avait contacté il y a quelques jours par le site Warmshowers (le Couchsurfing des cyclistes).

 

Ce soir-là, lui et sa femme héberge chez eux Peter (à droite sur la photo), un Anglais cyclovoyageur sacrément experimenté  (vous pouvez suivre ses aventures - du Japon à l'Angleterre ou de l'Angleterre à l'Afrique du Sud par exemple - sur son site). Slavko nous laisse les clés d'un local en construction juste à côté du café internet, où on installe nos matelas.  

 

A leurs côtés, on retrouve dans un bar les protagonistes d'une masse critique à velo qui a eu lieu quelques heures plus tôt puis nous assistons à un concert de free jazz  - par des musiciens qui ont sans doute cru que ça voulait dire "faire n'importe quoi chacun sur scène" - tres naze donc (on vous a sélectionné un petit extrait ici), mais qui n'enlevera rien à cettre très belle soirée.

Les apprentis jazzistes (qui, comme on l'a appris plus tard - on l'avait un peu deviné - jouaient pour la première fois ensemble)

Anna a une formation de fashion designer, et s'intéresse beaucoup aussi au maquillage : le local où on a dormi pourrait bien devenir un salon de beauté dans les prochaines années. Elle propose à Elena de se prêter au jeu de ses pinceaux, pour une transformation radicale...

                                                                     Elena avant...

        ... et après le maquillage d'Anna


Elena tombe le masque quand même avant de reprendre la route, les faux cils ajoutent un peu de poids à nos vélos déjà bien chargés !

 

En route pour la Macédoine... bulgare !

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Commentaires: 3
  • #1

    Pat (lundi, 31 octobre 2016 17:31)

    Où sont passées les tâches de rousseur de notre CeltoBritonne ?

  • #2

    catherine (mercredi, 02 novembre 2016 23:18)

    Elena à la sauce macédonienne....qué bella
    un peu de maquillage, des faux cils et on a une fille du pays!
    beau périple encore ... merci aux reporters

  • #3

    Nirina, Nico et Klervi (dimanche, 06 novembre 2016 15:24)

    Sacré avant-après, on dirait presque un masque d'opéra chinois ;-)