Barcelone - Perpignan : la Catalogne au-delà des frontières

On se dit qu'on a un peu le cul entre deux pays en débarquant à Barcelone. Espagne ou Catalogne, son cœur balance. En ce moment en particulier, et depuis plusieurs mois, sauf à être un ermite, impossible de faire l'impasse sur le désir d'indépendance de nombreux Catalans.

 

Mais ce ne sont pas les Espagnols qui occupent la ville ce weekend, ce sont les Bretons : toute la famille Dalibot a débarqué pour fêter avec nous les trente printemps d'Elena et se perdre avec nous pendant quelques jours dans la jungle urbaine qu'est Barcelone.

Nous qui arrivons de la mer, Christophe Colomb nous pointe du doigt : on aurait du arriver en pédalo, c'est ça ? On ne se vexe pas pour si peu. A part ça, d'aucuns diraient d'ailleurs que l’Amérique est dans l'autre sens, vers l'Ouest. Mais les commanditaires de la statue ont jugé que le message serait sans doute étrange si ce navigateur mondialement connu se tournait vers la terre...

 

La Sagrada Familia en sable, un projet architectural au moins aussi fou que celui de Gaudi. En espérant que la pluie n'arrive pas trop vite pour les artistes...

La concurrence, ou l'émulation, est rude entre les sculpteurs de sable du quartier de Barceloneta, pour le plus grand bonheur des passants !

 

On a loué un petit appartement pour la fin de semaine dans le quartier à la fois central et populaire de Raval, où vivent beaucoup d'immigrés notamment pakistanais, bien que d'autres "migrants", les touristes, aient tendance a pousser les prix des logements vers le haut. La nouvelle maire de Barcelone, Ada Colau (ancienne Indignée et soutenue par le mouvement Podemos) et les associations de quartier mènent une lutte quasi inédite dans de telles villes touristiques contre  la gentrification du quartier (avec notamment l'interdiction de construire de nouveaux hôtels dans le centre ville - lire plus ici) et le tourisme de masse : la thèse d'un remplacement de populations par d'autres véhiculée par les extrêmes droites européennes ne se fait pas dans le sens qu'ils prétendent. 

 

Malgré cette sensation d'être du mauvais côté de la lutte, nous passons une première soirée pépère mémère avant un week end qui s'annonce intense. En effet, c'est la fête de Sainte Eulàlia, la fête de la lumière, en ce début février. Des poupées géantes, apprêtées et fardées, portant de belles robes traditionnelles, attendent en ligne de pouvoir bientôt parader dans les rues de la ville.

Sainte Eulàlia et les géantes de sa cour

 

Pour la Sainte Eulàlia (ou Ste Laia, son p'tit nom), la ville résonne au rythme des batucadas et des pétarades que des enfants déguisés en diables allument en sautillant, et qui tournoient au-dessus d'eux, formant un parapluie d'étincelles sur les têtes de ceux ou celles, imprudent.e.s ou téméraires, qui passent en dessous. 

 

Au détour des rues, on découvre des installations artistiques ou des projections de films et de jeux de lumières sur les façades de bâtiments ; sur une place, aux sons du vent et de la tempête, un petit bateau vogue sur une mer de tissu, sur laquelle les passants sont invités à allumer les centaines de bougies qui la couvrent : un hommage à toutes les victimes qui ont péri en tentant de rejoindre l'autre rive de la Méditerranée.

 

Un diablotin à l'action

 

On assiste à une belle réflexion sur le temps qui passe sur le mur des archives de la ville, grâce à un spectacle de sons et lumières qui joue avec malice avec la façade sur laquelle il est projeté.

 

Les artistes ne sont pas tous derrière des écrans ou des commandes de régie son ou vidéo ce soir, certains sont aussi dans la rue, comme ces chanteurs d'opéra, qui reprennent de grandes pièces devant un public conquis, des Noces de Figaro à O sole mio en passant par Carmen et le Barbier de Séville. Le gars au centre de la photo ci-contre a un coffre et une voix magnifiques, doublés d'un talent de danseur. Il fait rire et participer les spectateurs avec des techniques qui ne sont pas sans rappeler les spectacles de rue de hip hop, comme ici pour le "Toreador" de Carmen. Effectivement, on apprend plus tard que le jeune homme est danseur de hip hop, et qu'il est autodidacte en chant lyrique (on l'a retrouvé en vidéo ici) ! Il chante de temps en temps avec d'autres, selon qui est là et qui veut participer, comme le monsieur à l'écharpe kaki, qui a chanté avec les plus grands et continue encore aujourd'hui, à plus de 80 ans ! L'opéra, qu'on se représente généralement comme un genre confiné aux belles salles pour un public chic et bien habillé, s'invite dans la rue. 

 

Tapas, sangria, plancha et bons petits plats, viva Barcelona !

 

 

Suite à l'explosion de la bulle immobilière il y a quelques années, les banques se sont enrichies en Espagne grâce notamment à des "clauses planchers" cachées aux particuliers emprunteurs. Mise en lumière par des associations de consommateurs, cette arnaque bancaires pourrait concerner des millions de personnes et est dénoncée à coup de stickers sur les distributeurs des banques mis en cause, comme ci-contre ("Attention : cette banque est du côté obscur").

 

 

Guidés par Julian qui a vécu plusieurs mois à Barcelone et par Klervi qui connaît bien la ville aussi, nous découvrons ses multiples facettes, de la longue plage de Barceloneta au quartier jeune et sympa de Gràcia. On découvre une fabrique de bonbons dans laquelle les différentes étapes sont réalisées en cuisine et en boutique, sous le regard curieux des clients, et qui a décidé d'illustrer la fabrication de bonbons de la manière qu'ils maîtrisent le mieux... en bonbons (ci-contre) ! 

 

Gaetan et Julian devant l'un des nombreux graphs de Barcelone

 

Après Barcelone, nous remontons la Costa Brava vers l’Hexagone : cap au Nord !

 

On a rendez vous ce soir avec dans la petite ville balnéaire de Lloret de Mar où nous attend Jaume. En attendant l'heure, on se pose dans un petit café/resto au cœur de la zone hôtelière, où les menus et les cliens sont russes. La curiosité des patrons à la vue de nos montures chargées se lit sur leur visages. Ils sont géorgiens, ont pas mal vadrouillé (notamment en Normandie) et sont hallucinés par notre voyage, même si nous ne sommes pas allés jusque dans leur pays d'origine (une autre fois, on espère !). Pas question qu'on paie le café, ils veulent même nous offrir le repas. Le souvenir de cette rencontre restera inscrits dans nos mémoire, et dans le carnet de voyage d'Elena, sur lequel Kakhaber, l'un des gérants, a écrit nos noms dans le bel alphabet géorgien.

 

Jaume a beaucoup voyagé à vélo, en particulier aux Etats-Unis : on échange bons conseils et histoires de voyage.

 

C'est à partir de Lloret de Mar que commence la partie la plus belle de la Costa Brava. Après le superbe petit village de Tossa de Mar (ci-dessus), la route de la côte serpente dans les hauteurs, nous offrant à la fois de magnifiques paysages de montagne et de mer.

 

Entre Tossa de Mar et Sant Feliu de Guíxols. La petite route côtière est vallonnée mais désertée des touristes pendant la saison basse. C'est le terrain d'entraînement idéal pour les clubs cyclistes de la région qui nous doublent régulièrement à toute vitesse. 

 

A Mont-Ras, nous faisons la connaissance d'un couple fantastique qui nous accueille grâce au réseau Warmshowers et que nous prenons en amitié dès les premiers échanges. Kathy est Anglaise, mais il faudrait peut-être plutôt dire Catalane, car elle vit en Catalogne avec Alfonso depuis plusieurs décennies. Tous les deux s'ouvrent à nous avec une grande simplicité. Alfonso nous fait partager sa passion pour les montres et nous raconte les mille et uns métiers qu'il a exercés dans sa vie. Il improvise pour nous un petit air d'harmonica - le seul instrument que leur petit chien déteste (à moins qu'il ne veuille l'accompagner avec ses petits cris). Alfonso est en fauteuil roulant et ne peut pas se déplacer beaucoup, mais lui et Kathy voyagent en accueillant des voyageurs, cyclistes ou non, et écrivent à leur manière un carnet de route : c'est le livre de la maison, qui ressemble à un grand grimoire plein d'histoires. Amoureux de langues, ils parlent tous les deux parfaitement français, et Alfonso a même traduit des romans de l'anglais vers le catalan : un travail de mineurs, comme il dit, à la pioche sur chaque phrase, mais dont il peut être fier. 

 


La question de l'indépendance de la Catalogne espagnole n'est pas seulement dans les bouches et les médias, mais aussi sur les panneaux, où certaines communes n'hésitent pas à afficher leur prise de position dès l'entrée (et ça doit parfois faire débat : sur la photo de droite, le "in" de "indépendance" a été effacé...)

 

Depuis qu'on a quitté Barcelone, on se sent en effet beaucoup plus en Catalogne qu'en Espagne, en premier lieu par la langue parlée et écrite. Chez Lluis et Ton, qui nous accueillent à Verges, comme pour leurs amis Esther et Jordi ou pour Kathy et Alfonso, la langue du quotidien, c'est bien le catalan. Esther, à côté de son travail comme prof d'anglais, enseigne le catalan à un couple suisse (nous voilà tous réunis sur la photo ci-contre). Esther et Jordi préparent un grand voyage à vélo prochainement avec leurs deux enfants, qui n'est pas sans nous rappeler Peter, Petra, Ben et Esmé (qu'on avait rencontrés en Autriche, et qui sont repartis sur la route en Amérique Centrale : vous pouvez suivre leur voyage sur leur site, thecyclingfamily.com).

 

Lluis est un amoureux des voyages à vélo et à pied et connaît les Pyrénées voisines mais aussi les Alpes comme sa poche. Là où nous ne voyons que des montagnes indifférenciées, il distingue des chemins, des cols, des crêtes, comme si c'était les détails d'un visage qu'il reconnaîtrait entre mille. Il est aussi peintre - toute la maison est couverte de paysages de montagnes - et illustre ses carnets de voyages d'aquarelles qui nous laissent pantois.

 

On commence à goûter à la toute fin des Pyrénées du côté de Montjoi, près de Cadaques.

 

La dernière frontière du voyage se rapproche (ou plutôt, on s'en rapproche...). 

 

C'est à El Port de la Selva qu'on fait la connaissance de Maurice, devant la médiathèque. Même s'il s'en défend, parler avec Maurice, c'est un peu comme faire un tour à la bibliothèque et s'abreuver d'histoires, de réflexions, d'idées. Il est lui aussi Français, mais il a longtemps vécu en Espagne, où il a travaillé comme organiste (joueur d'orgues). Il n'a pas la langue dans sa poche et a le regard malicieux et curieux de quelqu'un qui a vécu, vu du pays, rencontré des gens. Il est fier - et il a raison - d'être resté un "sans-grade", comme il dit : "D'ailleurs, quand on est vieux et qu'on a sa vie plutôt derrière soi, c'est plus difficile que pour vous les jeunes. Attention à rester vous aussi des sans-grades !" On va essayer, Maurice ! Il y a des rencontres comme celle-ci qui durent quelques dizaines de minutes seulement, mais marquent profondément.

 

 

Les derniers kilomètres avant la France ne sont pas de tout repos, comme s'il fallait la mériter, cette dernière frontière. Cela dit, la route de la côte est cependant quand même le passage des Pyrénées le plus facile, et offre de beaux points de vues ! Ci-dessus, on lance un dernier regard sur l'Espagne, avant de redescendre côté français.


Après exactement dix mois de voyage (le 18 février 2016), nous passons notre dernière frontière du voyage, synonyme de retour au pays.  Le voyage n'est pas fini, car on veut remonter jusqu'à Paris, notre point de départ. Mais c'est un sentiment étrange de savoir qu'on va pouvoir à nouveau parler français avec les gens qu'on rencontre et dans les magasins, utiliser nos forfaits téléphoniques normalement, revoir des ami.e.s sur la route...

 

Perchés sur les hauteurs de Port-Vendres, on profite de la vue sur la chaîne pyrénéenne et le pic du Canigou.

 


On a certes passé une frontière, mais on n'a pas quitté la Catalogne pour autant ! On y est peut-être même depuis Alghero en Sardaigne, en réalité. Les communes français du sud des Pyrénées Orientales affichent, elles aussi, les couleurs rouge et jaune, mais plutôt que l'indépendance, l'enjeu est peut-être plus une réaction au nouveau nom controversé qu'a pris la région issue de la fusion du Languedoc-Roussillon et des Midi-Pyrénées, à savoir  "l'Occitanie" (même si son vrai nom est Occitanie / Pyrénées-Méditerranée). L'option "Occitanie / Pays catalan" figurait parmi la pré-sélection de cinq noms, mais n'a pas été retenue...

 

Le vieux port de Collioure et son château royal : on en prend plein la vue.

 

Une petite frayeur mécanique menace de nous arrêter - le corps de cassette du vélo d'Elena fatigue et les pédales, par moments, n'entraînent plus la roue arrière (c'est un peu ce qu'on pourrait appeler "pédaler dans la choucroute") - mais le vélo repart.

 

Un soleil estival nous accompagne dans les ruelles de la vieille ville de Perpignan. On est accueillis à Saint Féliu d'Avall (et pas Saint Féliu d'Amont, le voisin rival) chez Vincent, sa copine et leur fille. En pleine session musicale sur une minuscule placette du village, toute la famille nous retrouve.

 

Même si ses parents sont originaires de banlieue parisienne et parlent français à la maison, Anna est dans une école catalane, une des seules de la région. Dans un pays où la seule langue officielle est le français (la France est l'un des rares pays du Conseil de l'Europe à ne pas avoir ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Hollande n'a plus beaucoup de temps pour tenir sa promesse de campagne), cette langue a malheureusement du mal à survivre et à se transmettre comme elle le fait de l'autre côté des Pyrénées.

 

Cette très belle soirée entre potes avec une bonne nuit au chaud nous permet de recharger les batteries avant une grosse journée qui nous mènera vers Narbonne et le canal du Midi. 

 

On laisse la Catalogne et les Pyrénées derrière nous : direction le pays occitan !

 

"Tout ce qu'il vous faut, c'est un vélo !"

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Commentaires: 2
  • #1

    Pat (dimanche, 02 avril 2017 23:05)

    C'est avec grand plaisir que j'ai réécouté Hamza et ses airs d'opéra, Merci.

  • #2

    marie france (mardi, 04 avril 2017 14:19)

    Eléna ton vélo commence à pédaler dans la choucroute

    Je pense qu'il se prépare pour son futur ( vélo d'appartement )

    Gros bisous M.F.S