Argos - Igoumenitsa : à travers le Péloponneige

Nous sommes accueillis à Argos par quelques flocons de neige. Tout le monde dans dans la rue sourit, prend des photos ou filme. Toute la ville se couvre de blanc, et le patron d'un café nous dit qu'il n'a pas vu ca depuis 1983... Et nous sommes peut-être les seuls à ne pas nous émerveiller de toute cette neige, car on doit dormir en tente cette nuit-là, et les prochaines. Au chaud, un gyros dans les mains, on regarde à travers les vitres du resto en pensant à la suite du voyage... Une accalmie nous permet de faire un rapide tour dans la ville et de trouver un immeuble en construction qui pourrait nous offrir un abri pour la nuit. On reste au café jusqu'à la nuit car la neige n'en finit pas de tomber, puis on file comme des cambrioleurs dans le bâtiment vide, on monte la tente à la vitesse de l'éclair pendant que de l'eau chauffe pour une bouillotte et on se glisse dans les sacs de couchage, et on réussit notre pari : ne pas avoir froid. Dormir en tente alors qu'il neige à gros flocons à quelques mètres, ça c'est fait !

 

Pendant ce temps-là, à quelques milliers de kilomètres à l'Ouest, un petit bout d'chou pointe le bout de son nez ou de son pied...

Argos sous la neige

Le lendemain, le ciel bleu est de retour et le soleil a du boulot pour faire fondre ce paysage tout blanc. 

 

Un sac poubelle enfilé sur chaque jambe pour marcher dans la neige, on commence à arpenter le site de Mycènes, la ville du roi Agamemnon (qui mena l'expédition des Grecs contre Troie pour retrouver Hélène, la femme du frère d'Agamemnon, enlevée par Pâris). C'est là que le roi aurait été assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant à son retour de la guerre, puis que ces derniers auraient à leur tour été tués par Oreste et Electre (les enfants d'Agamemnon et de Clytemnestre)en représailles. Le palais  à l'histoire sanglante semble pourtant bien paisible sous la neige.

Le masque mortuaire royal devant lequel l'archéologue Heinrich Schliemann déclara : "J'ai regardé le visage d'Agamemnon".

La tombe de Clytemnestre

 

La Grèce enneigée : c'est un peu un privilège de pouvoir voir ça, car ça n'arrive pas si souvent... C'est impressionnant aussi de voir comme un petit voile blanc embellit le moindre paysage (et a fortiori à des paysages déjà beaux), et lui donne une certaine quiétude. 

 

Après les mosquées, c'est dans une petite église orthodoxe dans un village du Péloponnèse qu'on se réfugiera pour une nuit particulièrement fraîche. On dort sous le regard - bienfaisant ou désapprobateur, on ne le saura pas - des icônes, mais on ne croisera pas âme qui vive. Au petit matin, on découvre en voulant boire que l'eau de nos bidons s'est transformée en gros glaçon ; les câbles de vitesses sur nos vélos sont gelés : il ne nous reste plus qu'à attendre que les températures se réchauffent...

De la mer à la montagne, il n'y a que quelques pas.

 

A Diakopto, on embarque nos vélos dans un magnifique petit train à crémaillère. Les rails serpentent le long de la falaise au bord d'une rivière, passant à sa droite, à sa gauche. On en fait autant dans le wagon presque vide en passant d'une fenêtre à l'autre, poussant des "oh" et des "ah" d'admiration devant le spectacle incroyable de cette gorge où des hommes ont permis de faire passer un train dès le XIXe siècle. On dirait même que les stalactites pendant aux plafonds des tunnels ont fait en sorte de s'arrêter juste à temps pour permettre à la locomotive de passer. 22 km plus loin, 750 mètres plus haut, on s'arrête à Kalavrita. 

En route vers Kalavrita

On pensait que la descente à vélo de Kalavrita à Diakopto irait vite et qu'on ne ferait que descendre, ou presque. On découvre bien vite qu'il va falloir grimper, et que ce n'est pas près de s'arrêter. Mais chaque minute à 7 km/h nous éloigne un peu plus de l'espoir d'arriver à Diakopto avant la nuit... et la neige recommence. La première maison qu'on croise est au sommet du col, à environ 1000 mètres d'altitude : à partir de là, la descente aurait été rapide, mais la neige et la nuit rendent la route trop dangereuse. Heureusement, les habitants se rendent justement sur la route de Diakopto et proposent de nous y amener en voiture : pas de refus !

 

La neige nous accompagne ces prochains jours. Pas de problème quand on pédale (sauf pour les doigts de pieds, inactifs), mais le froid se fait sentir le soir quand on s'arrête. Faute d'hébergements chez l'habitant, on trouve heureusement des abris tous les soirs, dans des bâtiments abandonnés ou en construction.

 

A Patras, on quitte le Péloponnèse par un pont de près de trois kilomètres de long, qui fut champion du monde de longueur dans sa catégorie jusqu'à ce que le viaduc de Millau ne remporte la palme quelques mois plus tard. 

Les ingénieurs ont du planché sur pas mal d'obstacles physiques et climatiques pour la construction de ce pont, qui affiche pas mal d'autres longueurs, largeurs ou grosseurs records. Mais il faut croire qu'ils ne devaient pas faire beaucoup de vélo, car le pont s'achève sur une autoroute interdite aux cyclistes, et un escalier d'une vingtaine de marches pour les piétons. Une petite voie goudronnée pour vélos n'aurait sans doute pas fait coûter l'ouvrage beaucoup plus cher...

 

Les températures ont un peu augmenté, mais s'il ne neige plus, il pleut presque sans relâche pendant une semaine encore. Les hôtes se font rare, et pourtant, on aurait bien aimé un bout de toit et un peu de chaleur ces jours-ci. 

 

On fait un petit détour vers Toulida, un village au bout d'une longue impasse de cinq kilomètres, qui s'avance sur la mer. On dirait qu'il y a plus de flamands roses que d'habitants des maisons à pilotis qui ont élu domicile dans ce petit coin tranquille. 

Toulida

 

Est-ce parce qu'on arrive du pays le plus hospitalier qu'on ait traversé, la Turquie ? Parce que c'est l'hiver et que les gens sont plus renfermés ? Parce que la crise s'abat de plein fouet sur le moral des habitants ? Parce que la Grèce est traversée par des touristes depuis des décennies ? Ou parce que le mauvais temps a tendance à nous faire noircir le tableau ? Toujours est-il que les gens qu'on croise ou rencontre sur la route sont globalement assez froids, peu curieux du voyage, désintéressés. Mais les exceptions n'en sont que plus savoureuses, comme ce vieux monsieur à Agrinio qui commence à discuter avec nous après qu'on ait échangé quelques sourires, et qui nous montre des photos de lui quand il était jeune, et nous conduit chez un commerçant qu'il connaît pour que celui-ci traduise pour nous pour s'assurer qu'on ait bien compris la route à prendre.

Le soleil est de retour à Amfilochia.

Le petit village de Vonitsa et son long pont qui relie une petite île à la berge.

A Aktion, une surprise nous attend : la route passe par un tunnel sous-marin de deux kilomètres, interdit aux cyclistes. Sauf que comme on se trouve sur l'un des côtés d'un golfe, le détour permettant d'éviter ce tunnel mesure 200 km... Heureusement, les agents postés devant le tunnel ont tout prévu : un coup de fil, et voilà une camionnette qui arrive, embarque nos vélos, et nous fait passer de l'autre côté. Le conducteur en a vu passer, des voyageurs à vélo, et le trajet est trop court pour entendre toutes ses histoires. 

 

A Preveza, on est accueilli par Ilias, qui nous offre un lit bienvenu chez lui. Il est instituteur, mais travaille cette année comme coordinateur pour la scolarisation des enfants migrants arrivés récemment dans la région. Entre les cours de norvégien en ligne et le basket, il vit à fond la caisse !

Après quelques jours de pluie torrentielle, où on s'abrite comme on peut (ci-dessus par exemple, on essaie de créer une petite ambiance estivale mais il pleut des cordes à quelques mètres), on arrive enfin à Igoumenitsa. On n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de l'Albanie, où l'on était quelques mois plus tôt. Eleni nous accueille pour une nuit, pour on quitte la Grèce pour rejoindre l'Italie, en espérant que l'hiver sera plus doux de l'autre côté de l'Adriatique...

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Commentaires: 1
  • #1

    Diana (samedi, 04 mars 2017 00:59)

    Ouf, on sent que cet épisode n'était pas le plus agréable à traverser et à relater. Malgré les difficultés, vous avez eu la chance de voir ce pays sous un angle inédit (sous la neige) et ça c'est tout à fait dans la thématique de votre voyage ! Respect pour votre débrouillardise, vous êtes des pros !