Datça - Antalya : la fin de la ruée vers l'Est

... mais pas la fin du voyage !

 

Même si les parfums envoûtants de l'Orient et notamment de l'Iran nous attirent, notre désir de rentrer chez nous en bicyclette, comme apres une petite balade dominicale, nous conduit à continuer l'aventure vers les îles grecques, la botte italienne, bref le sud du continent européen.

 

Mais avant ça, on decide de prolonger le plaisir que nous prenons chaque jour dans ce pays en prenant jusqu'à Antalya la route qui flirte avec la côte méditerranéenne et qui nous a été conseillée à moult reprises.

 

De Datça à Marmaris, on prend comme souvent la route la moins directe et faisons le tour de la péninsule de Bozburun. Ci-dessus, l'une des nombreuses baies qui nous laissent bouche bée.

La splendide baie de Selimiye

 Des fontaines un peu psychédéliques pour les ablutions.

La ville de Bozburun se divise entre un petit port de plaisance avec hôtels touristiques d'un côté et un petit village populaire de l'autre. C'est aussi l'un de plus grands chantiers navals de goélettes, des voiliers utilisés en été pour les célèbres croisières bleues entre Bodrum et Antalya. 

 

Se balader entre ces dizaines de navires sur tréteaux (cloués, poncés, peints avant le retour des beaux jours...), c'est un peu comme arpenter les coulisses d'un théâtre et observer les petites mains s'activer dans tous les sens pour des bateaux sur lesquels ils ne navigueront probablement jamais. Mais c'est aussi un art et un savoir-faire transmis de génération en génération, en plein air, au soleil, et souvent en famille.

Combien de bateaux (ou de parties de bateaux) voyez-vous sur la photo?

Après une petite baignade de décembre (pourra-t-on encore se baigner en janvier ?) près du chantier des bateaux, on enclenche le petit plateau, direction Marmaris.

 

On découvre  au fil des kilomètres des paysages incroyables, mais on commence à avoir les pieds en compote et les mollets completement toastés. Un lit douillet nous attend à Marmaris chez une famille qui a accepté de nous accueillir. La route est plus longue et plus dure que l'on pensait, mais l'idée de dormir au chaud est l'une des meilleures motivations pour avancer. On demande régulièrement aux vieux habitants des villages que l'on croise combien de temps le supplice doit encore durer, mais il faut toujours rajouter quelques kilomètres à leurs estimations optimistes, qui visent peut-être à ne pas trop nous déprimer.

Mais nous arrivons enfin à Marmaris, où Göksel, Gönul et leur fille Elif nous attendent. Göksel et Elif sont eux-mêmes partis en voyage à vélo en Europe de l'Ouest quelques semaines cet été, et ils sont aux petits soins pour nous. Warmshowers, ce Couchsurfing des cyclistes, porte bien son nom ce soir : une bonne douche, et on a l'impression de renaître !

 

Göksel est un cuistot exceptionnel et chaque repas est un véritable régal pour les yeux et les papilles. De nombreux plats couvrent la table, on n'a sans doute jamais aussi bien mangé - et pourtant, la barre est haute, surtout depuis qu'on est arrivés en Turquie.

La crème de canneberges, l'un des nombreux cadeaux culinaires de Göksel.

Les petites rues de Marmaris sont désertes en cette saison, et retrouvent leur charme de petite ville côtière d'avant le tourisme de masse.

Elif est une chanteuse hors pair, qu'on ne se lasse pas d'écouter (et que vous pouvez écouter aussi ici). Elle n'a que seize ans, mais elle est d'une maturité impressionante. Elle traduit pour ses parents et nous, et en son absence, Google Traduction prend le relais sur le smartphone de Göksel, avec des résultats parfois poétiques, souvent drôles (on se demande bien ce que "aucun cookie garder la foi en Falun" voulait dire en turc, par exemple). 

 

On se sent comme dans un cocon avec cette belle famille, qu'on a du mal à quitter. Mais comme dit Göksel, "le voyageur doit être en chemin".

Apres avoir deposé Elif à Köyceğiz (prononcez [cueille djé yiz]), Göksel nous entraîne dans sa roue jusqu'à la sortie de la ville.  Mis sur les starting blocks pour rejoindre notre prochain hôte à une cinquantaine de kilomètres, nous quittons le golfe de Marmaris avec le sourire, mais un pincement au coeur de laisser ces nouveaux amis derrière nous.

 

Le p'tit cay au bord de l'immense lac de Köyceğiz nous met directement à l'aise avec Taylan. Il est prof d'anglais et parle sans tabou de tout : de l'Europe à la politique turque en passant par les voyages et les relations, on passe une belle soirée à discuter ensemble.

Les bords du lac de Köyceğiz

On décolle tôt ce matin pour accompagner Taylan à l'école où il travaille. Pour le petit-déj, nous engloutissons böreks et "tahini çörek" (qu'on a découverts à Datça, un délice) dans un boui-boui blindé de travailleurs matinaux (c'est toujours un bon signe), avant de prendre la route de Dalyan.

 

Cette petite ville est connue pour ses vertueux bains de boue au bord du lac mais, comme ils sont glaciaux en cette saison, on leur préfère les bains thermaux naturellement chauds (ci-contre). 

 

A Kaunos, des tombes lyciennes (une civilisation qui a existé entre le XVe et le VIe siècles av. JC) creusées à même la falaise surplomblent les canaux envahis de roseaux et dominent Dalyan, de l'autre côté de la rivière, du haut de leurs millénaires.

 

Pour traverser la riviere, un panneau indique le numéro de téléphone du capitaine de la navette resté de l'autre côté (et sûrement en train de boire un çay avec ses potes). Petite pause sur l'autre berge, puis c'est reparti en direction de Dalaman. On dort ce soir là en tente, entre un champ de chèvres et une maisonnette. Très vite, la famille qui y vit nous apporte un repas chaud sur un plateau, malgré nos protestations inutiles, et on est bientôt invité pour un çay à l'intérieur. 

Vue sur le lac de Sülüngür 

Un peu avant Göcek, un tunnel se dessine au loin ; une longue route l'évite sur la droite en serpentant sur la montagne ; nos jambes en sont fatiguées d'avance. Mais il y a en fait deux tunnels, et seul un est en usage : l'agent du péage avant le tunnel nous invite à passer par l'autre tunnel en toute sécurité, car il est non seulement éclairé, mais surtout on est seuls sur la route ! 

 

A Fethiye, Adnan de Selcuk nous a mis en lien avec Gülen, qui nous accueille chez elle. Dès qu'on la retrouve, elle nous serre fort dans ses bras. Elle a rencontré la veille dans la rue Felipe et Karin, un couple colombo-slovaque qui voyage en stop jusqu'à l'Inde, et qu'elle a aussi invité à passer la nuit au chaud chez elle et son père. Gülen, c'est un coeur grand comme son sourire ! Avec cette joyeuse compagnie, on passe deux soirées à jouer de la musique et discuter voyage, vélo et camping sauvage. Emue par notre interprétation d'"Uzun ince bir yoldayım", Gülen nous offre deux T-shirts de Beşiktaş, dont elle est une fan inconditionnelle.

Les Çarşı  de Beşiktaş, toutes griffes dehors

 

Gülen nous accompagne à vélo - quel coup de pédale ! - sur la très belle presqu'île qui fait face à Fethiye, déserte en ce mois de décembre. Cette belle matinee s'achève dans une petite gargote familiale, où pour une énième fois, un complot turc nous empêche de payer l'addition. On se rattrapera avec une tournée de baklavas achetées un plus loin : il faut ruser pour offrir quoi que ce soit !

On continue notre découverte de la région à deux avec la plage d'Ölüdeniz, une longue avancée de sable formant un lagon bleu. Ce serait l'une des cinq plus belles plages du monde, paraît-il, et on ne doit pas être nombreux à l'avoir vue si déserte. Gaetan n'a pas froid aux yeux et se jette à l'eau : la côte pour quitter Ölüdeniz devrait nous réchauffer. Mais un minibus vide nous remonte deux kilomètres plus haut, ce pour quoi nos cuisses déjà bien éprouvées lui sont éternellement reconnaissantes.

 

Puis vient le village fantôme de Kayaköy. On se perd entre les centaines de maisons, les églises et les écoles, abandonnées par la population grecque suite à la "Grande Catastrophe",  l'échange forcé des populations turques et grecques en 1923 suite à la création de la république de Turquie. La légende raconte que les Grecs auraient empoisonné l'eau avant de partir, ou encore que les Turcs auraient boudé les maisons de ce village de 3000 âmes. Un seisme en 1957 a achevé de rendre le village digne d'un film d'horreur. Seules quelques oies jouent à cache cache avec nous dans un decor brumeux. 

Le village fantôme de Kayaköy

Après ces beaux moments à Fethiye, une petite route traverse plusieurs petits villages tranquilles. Après un bon coup de cul (montée brève et à fort pourcentage), nous apercevons pour la premiere fois des monts enneigés au loin. Plus bas, de nombreuses serres s'étalent dans la vallée.

 

En quete d'un abri pour la nuit, nous traversons le parc national de Patara au coucher du soleil. Les lumieres sur le site archéologique et l'immense plage de sable fin au bout de la route (la plus grande de Turquie) sont magnifiques. Il faudrait que les monuments archéologiques puissent se visiter au crépuscule, c'est là qu'ils sont les plus beaux... 

Sur la route de Kaş 

De Patara à Kaş, la route passe au plus près de l'eau et longe des criques dont les couleurs turquoises ne demandent qu'à ce qu'on y plonge ; on ne se fait pas trop prier ! Cette partie de la route est l'une des plus belles du pays.

 

Kaş, on apprend par les infos dans un kebab qu'un nouveau attentat a eu lieu à Istanbul devant le stade de Beşiktaş, tuant une trentaine de personnes. Les JT n'ont pas fini de passer les images en boucle des victimes d'un attentat qu'un autre a déjà lieu... Pas question par contre de parler des victimes des opérations de l'armée turque dans l'est du pays autrement que comme de dangereux terroristes kurdes : les médias sont muselés, et ceux qui ne le sont pas ont été fermés ou sont menacés de l'être. Tout le monde n'a pas le droit au statut de "mort martyr", ça dépend de qui tient l'arme...

 

La route quitte la côte pour gravir la montagne après Kaş. On demande à un cycliste de passage combien de kilomètres on devra grimper, mais on n'aura pas le temps de voir le sommet ce jour là: on est invité à passer la nuit chez lui. 

 

Bilen est arrivé à Kaş il y a quelques mois. Il est instit et il a décidé de quitter Istanbul car il ne supportait plus les gens qui font la gueule et passent leur vie dans les transports ; il nous raconte tout ça avec mimiques et grimaces, car il parle autant anglais que nous turc. Son frère Atakan et sa famille viennent de s'installer dans l'appart d'à côté. Eux, c'est pour leurs enfants qu'ils ont déménagé : Istanbul ne leur semble plus assez sûre. 

 

L'hospitalité des Turcs n'a pas fini de nous impressionner. On espère que ceux qui décident de quitter le pays (plusieurs des personnes qu'on a rencontrées considéraient cette option) seront aussi bien accueillis là où ils poseront leurs bagages.

L'orage nous contraint à nous abriter quelques heures sur la route de Demre. On repart à l'accalmie et croisons un couple de cyclo-voyageurs qui sont partis de Hong Kong (voici leur blog), puis un journaliste qui nous a vu passer et aimerait nous interviewer. On est un peu pressé par le temps si on veut arriver à Demre avant la nuit, et il nous pose ses dernières questions par la fenêtre de sa voiture, auxquelles on répond comme on peut entre deux respirations. On a retrouvé son article en ligne

Du haut de la montagne, le paysage de serres semble s'étendre à l'infini jusqu'à la mer.

On descend à toute allure sur Demre en slalomant entre les tonnes de clémentines qu'un poids lourd vient de déverser. La longue descente nous permet d'arriver juste avant la nuit.

 

Rendez-vous au troquet de la marina où, rechauffés au poêle et au rakı, on rencontre Balık (qui veut dire "poisson" en turc) Adam, un sacre phénomène... 

 

Si ce monsieur paraît plus vieux que son âge, c'est peut-être parce qu'il a déjà vécu mille vies, la plupart sur ou sous les eaux. Il a posé l'ancre au fond de la plage de Demre, où il a construit une cabane de bric et de broc. Il n'y a aucune route qui y mène, pas d'accès à l'eau ni à l'électricité ; on connaît certaines de ces contraintes en vélo nous aussi. Des batteries solaires permettent d'allumer quelques ampoules le soir, puis on passe aux bougies quand ces dernières s'éteignent. Balık Adam vit au rythme du soleil, passant de longues heures à plonger et à pêcher. Dans sa cabane, mille et un détails attirent le regard ; l'espace n'est pas grand, mais il y a toujours de la place pour les voyageurs de passage.

C'est ici que Balık Adam a construit son petit coin de paradis. 

Une étagère originale et pratique

Si pour nous, Balık Adam est le vrai personnage de Demre, la ville est généralement plutôt connue pour un autre homme illustre : St Nicolas, qui est à l'origine du personnage du Père Noël. Il était évêque à Demre (alors appelée Myra) au IVe siècle, et aurait apparemment plus ressemblé à un ermite qu'à un gros bonhomme joufflu, mais ce n'était peut-être pas assez vendeur pour Coca Cola...

Il ne se passe pas un jour en Turquie sans une belle rencontre ! Après Demre, c'est à Hasyurt, un peu avant Kumluca, qu'on fait la connaissance de Mürüvvet, Hasan, et de l'un de leur fils, Fatih, car on sera voisins pour un soir - on dort dans l'immeuble en construction à côté, à l'abri de la pluie. Ils nous invitent à dîner puis à partager le petit-déjeuner. Mürüvvet a une énergie incroyable et un grand sourire indécrochable. Fatih a un grave handicap physique et mental et, bien qu'il ait quatorze ans, il a le comportement d'un très jeune enfant, mais ses deux parents sont très présents pour lui et l'entourent de beaucoup d'amour.  

 

Apres une dernière petite étape de Kemer à Antalya, Özhun et sa copine Ayşenur nous accueillent dans leur appart à l'entrée de la ville. Ils sont étudiants en arts et architecture mais surtout passionnés par le tatouage. On a déjà un petit vélo dans la tête, pas besoin d'en ajouter un sur nos peaux...

 

On passe quelques jours en leur charmante compagnie : une pause qui nous fait du bien, avant de reprendre la route pour la Grèce. Le temps de faire nos aux revoirs à la Turquie... 

 

 

Le superbe tatouage d'Ayşenur

 

Le cachet du vieux centre d'Antalya tient à ses jolies maisons et ses rues pavées entourées par une enceinte. C'est là qu'on déniche un bouquiniste comme on les aime. Les livres sont empilés un peu partout, on pourrait presque se baigner dans une piscine de pages. Et effectivement, il faut plonger pour aller à la pêche d'une des perles enfouies sous tous ces ouvrages. Gaetan trouve son bonheur : le deuxième tome de Memet le mince, de Yachar Kemal, en français ! 

Du voile au string, il n'y a qu'un pas...


Bug ou pas bug? Telle est la question.

Nous voici arrivés au point le plus oriental du voyage : à partir de maintenant, on file vers l'ouest, jusqu'à la France ! Un bus nous ramène à Marmaris (même si les employés font d'abord les yeux ronds en voyant nos vélos et toutes nos sacoches), et on retrouve avec un énorme plaisir Göksel, Gönül et Elif. On a aussi l'impression de revenir un peu "à la maison", en territoire connu ; c'est une expérience qui est devenue rare pour nous. On n'aurait pu imaginer mieux pour fêter la fin de ces deux mois de voyage en Turquie, même si ça veut aussi dire que le départ sera encore plus dur, après s'être fait si bien dorloter. On gardera longtemps le souvenir de notre dernier repas à Marmaris - poissons et fruits de mer cuisinés à merveille. 

 

Le lendemain, un bateau nous emmènera à Rhodes, en Grèce, mais c'est déjà une autre histoire... 

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Commentaires: 2
  • #1

    goksel (dimanche, 15 janvier 2017 19:51)

    Meeting with you gave us a wonderful experiance. I hope we can see each other in this world again. We loved you so much, came again in summer we can go to beach and swim!

  • #2

    steph (dimanche, 29 janvier 2017 18:28)

    ah, y a trop de belles photos et d'histoires chouettes pour savoir laquelle commenter ;) heureux de voir/lire toutes ces découvertes et rencontres :)